"Roue libre" - Autres Textes : Samson - Crupet

PROPRIETES PRIVEES


«Propriété-privée-pièges-poisons-amorces-tir-à-balles-vipères-
entrée-interdite-chasse- gardée».
C'est signé S.P.A. (au début, je croyais que c'était Société Protectrice des Animaux!)
Je vous dis franchement: Si ça vous intimide,
chaussez pantoufles, je continuerai sans vous.
Car quoi? Ça fait trente ans que je saute les clôtures et les barrières,
que je brave les interdits en parcs et bois quand je ne les arrache pas
purement et simplement.
(Ça je ne le fais plus. Il ne taut pas que les gens se fassent
des illusions sur la société dans laquelle nous vivons.)
Une fois, rasant les murs d'un château qui se trouvait sur mon chemin,
je me suis pointé sur la terrasse où le seigneur du lieu
sirotait son café de quatre heures.
Ma tête!
Je suis passé, l'air de rien, raide comme une sentinelle de la garde.
Hé! là! Vous!
Sa tête!
J'en suis sorti. Je crois même que j'ai reçu le café.

Je vous dis: en trente ans, je ne me suis jamais fait prendre.
Une fois, ça a failli. Faut dire qu'on était une bande.
J'aime pas les bandes, c'est lourd à la décision.
On avait fait un feu pour se griller le lard,
dans un petit bois. Paf! Le garde!
Notez, je l'avais entendu.
La jeep. Mais allez secouer une bande, vous!
Trop tard!
- Vos papiers.
Quand je suis au piège, ou bien je me fais vilement humble
ou bien je me fous en rotte, tout dépend des circonstances.
Ce jour-là, il y avait la bande, je me suis foutu en rotte.
J'ai fait une vilaine tirade sur le capitalisme
et ses valets, vous connaissez la chanson.
- Ah c'est comme ça! A dit l'autre. Je vais chercher les gendarmes. Restez ici!
- Tu parles, qu'on va rester! je lui dis!
Mais que voulez-vous qu'il fasse, le pauvre?
Qu'il nous fusille sur place. Jamais je n'ai été pris.
Et puis, vous savez, il ne faut pas croire tout ce qui est écrit.
Les vipères, par exemple, c'est des orvets.
Les amorces, des boulettes pour les chiens et les chats rôdeurs.
Vous ne mangez quand même pas toutes
les saloperies qui traînent par terre, hein!
Les pièges, ça se met sur les coulées des bêtes, pas en plein sentier.
Reste le tir à balles.
D'abord, ça s'entend de loin, faut pas aller par là.
Et puis, les balles qu'ils disent c'est pour faire peur.
La plupart du temps, c'est du petit plomb pour le faisan d'élevage.
Pas de quoi en faire un drame!

Un bon conseil: vous allez en douce, vous tendez l'oreille,
vous jouez à voir avant d'être vu. Ça vous mettra en état de vigilance,
vous cesserez de penser à toutes ces bêtises quotidiennes,
vous surprendrez le chevreuil, le renard et le garde. C'est très gai!
Enfin, je voudrais vous dire: les chemins ils les interdisent souvent qu'ils
n'en ont même pas le droit parce que ce sont des chemins publics,
communaux, servitudes, cadastrés et tout.
Alors ne soyez pas trop couyon, sautez la barrière,
vous verrez comme c'est excitant.
Avec tout ça, je suis au bout de mes lignes.
Vous n'aurez pas votre gentille promenade
bien fléchée avec plan pour mettre vos pas dans les miens
donne-moi la main et prends la mienne.
Et l'aventure alors?



Michel Harcq (première parution dans NAMUR-TRANSITIONS)


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