CRUPET-NANINNE
Pour ceux qui sont au rendez-vous, vous voilà donc à l'auberge ou au café d'à côté
chez cette mère déesse qui vous a fait la soupe épaisse avec légumes du jardin
et tartines de beurre à tremper au bol.
Notez, on peut rester là, s'embarriquer de trappistes à tire-larigot,
chanter chansons et taper sur la table,
lutiner nos femmes et refaire le monde mais ce serait dommage de rater la grotte.
La grotte de Crupet.
C'est de la fausse grotte, du délire de curé parano, du tordu saint supplicien
tout emberlificoté d'indulgences plénières et de stalagtites en béton armé.
Le Saint y est grandeur nature, s'il vous plaît, bronze peinturluré rose bonbon,
bleu pervenche et vert sucette sauf pour ce qui est du diable:
rouge; noir; crochu; griffu; musclé comme un lutteur de foire.
Tout ça dans de la caverne artificielle avec des bougies
qui sperment dévotement sur herse de piquots forgés.
Mais le plus beau c'est le curé-fondateur.
Il est agenouillé dans la cendrée au pied de sa pièce montée.
Il est de bronze comme le reste mais avec, sur le visage, un ineffable et clérical sourire.
Faux cul, quoi!
De l'air! De la déchirure!
L'obsession de curé façon début de siècle me fascine comme le péché
mais me donne des petits boutons.
C'est pas de la religion, c'est du théàtre. Grottes de Bigots et Catholic Circus~.
Il y a des époques comme ça où le religieux fleure le faisandé.
Faut pas rester trop longtemps. Faut pas en rester là!
Maintenant marcher plus loin, raper au vent le fumet douceâtre des chandelles bénites, se jeter en campagne verte, pousser un cri éjaculatoire, se fendre en deux la cage thoracique,
marcher la promenade à grands pas, suant et soufflant, tant que le vieux rance s'évapore,
déchirer le paysage à grands coups de pattes, à soufflets de forge jusque l'arbre à clous, là-haut à lnzefy.
L'arbre c'est encore une question de religion mais pas à la mème sauce.
Ici c'est du vrai bois d'arbre planté racines en terre, branché sur ciel,
hérissé de clous forgés question pour les humains de ces temps-là de se mettre en prise
sur les électricités vertes qui circulaient entre nuage et crète.
Cet arbre-là était désigné par le ciel.
La foudre, à grands fracas, y avait déposé le guy, foutre divin.
C'est pas du rabâchage de curé insomniaque ça!
Mais plus loin, à Petite Courrière -excusez-moi mais je suis d'humeur emphatique et galopante;
Si vous voulez vous y retrouver faudra suivre le plan-
on se trouve en cimetière dévasté par l'oubli des vivants.
Tombes basculées, dalles brisées, croix de rouille et bondieuseries
laissant apparaître au creux de leurs chicots le fer rongé de leur béton qui s'effrite. Victoire donc! Une folie verte envahit la pierre, l'arbre prend racine dans le moellon de l'église,
le pigeon et le choucas investissent la Maison de Dieu par les hautes fenêtres aux vitraux brisés,
la mousse mord les visages sur les macarons photos bistres,
s'agrippe dans les rigoles des lettres taillées,
une lapine pond ses petits en rabouillère entre cuisses de mort,
l'ortie suce le bois de cercueil.
Ici, dans dix ans ce sera moins que Pompél. On dira:
-C'qu'on est peu de chose quand même!
ou d'autres lieux communs qui nous distraient de la crise qu'on dit comme ça,
parfois, l'oeil vague et l'air pénétré parce qu'on est au bord de comprendre la marche du monde
mais vite on se reprend, on secoue la tète, hue bourrique,
faut pas lâcher prise, il y a le bout de chemin d'aujourd'hui, tant qu'on a la santé,
en promenade de grands pas, en promenade de tout son corps, suant soufflant
par monts et par vaux tant que la pensée s'évapore.
Et marcher ainsi sans réserve de corps, à l'usure du corps est déchirure dans le paysage femelle.
Ça ne peut s'arrêter que sur un sanglot tellement le goût de la vie devient fort
et soi tout seul devant tout ça, on se dit:
-Dans le fond, pourquoi pas s'occuper de la marche du monde?
Et vite on va boire un verre. Pour s'arrondir les angles.
Michel Harcq (première parution dans NAMUR-TRANSITIONS)
Copyright © Hugues Van Rymenam - Escapades Ardennes-Eifel, 1996-2002.